« 18,5 % des jeunes congolais de 10 à 17 ans consomment le tabac » (Dr. Patrice Milambo)

À quelques jours de la Journée mondiale sans tabac, célébrée le 31 mai de chaque année, Patrice Milambo, directeur du Programme national de lutte contre la toxicomanie et les substances toxiques (PNLCT), tire la sonnette d’alarme. Dans un entretien à Ouragan, le médecin dresse un état des lieux préoccupant du tabagisme en République démocratique du Congo et présente les actions entreprises pour freiner ce fléau grandissant.
Ouragan : Quelle est la situation actuelle du tabagisme en RDC, notamment chez les jeunes ?
Patrice Milambo : Elle est très préoccupante. Une récente enquête réalisée dans 16 provinces révèle que 18,5 % des jeunes âgés de 10 à 17 ans consomment du tabac. Ce chiffre est d’autant plus alarmant qu’il dépasse largement ceux de pays voisins comme le Nigeria (5 %) et le Kenya (2 %). L’Enquête démographique et de santé (EDS) souligne, quant à elle, une prévalence de plus de 15 % chez les adultes. Nous faisons face à une consommation anormalement élevée, tant chez les jeunes que les adultes.
Quelles mesures sont mises en place pour y faire face ?
Nous nous appuyons sur les recommandations de la Convention-cadre de l’OMS pour la lutte anti-tabac. La taxation figure parmi les leviers essentiels : plus les taxes sont élevées, plus l’accès au tabac devient difficile. Sur le plan national, un arrêté interdit déjà de fumer dans les lieux publics, ainsi que toute publicité, promotion ou parrainage des produits du tabac.
La communication est aussi cruciale. Informer, sensibiliser, éduquer, voilà nos priorités pour inverser cette tendance.
Quels progrès ont été enregistrés au cours des dix dernières années ?
Le premier progrès notable est la disponibilité des données. Auparavant, nous manquions cruellement d’indicateurs fiables. Aujourd’hui, nous menons des enquêtes approfondies, notamment sur le commerce illicite du tabac, avec l’appui de partenaires comme Getaway. D’autres enquêtes sont en cours dans le Nord-Ubangi et le Haut-Lomami pour une surveillance continue de la prévalence.
Par ailleurs, l’arrêté 041, qui interdit toute forme de publicité et promotion du tabac, est en vigueur. En collaboration avec MESAG, nous avons mis en place plus de 500 espaces non-fumeurs à Kinshasa, au Kongo central et dans le Haut-Katanga.
Autre avancée majeure : alors que seules cinq provinces étaient actives dans la lutte anti-tabac, il y a quelques années, nous en comptons aujourd’hui douze. En 2024, pour la première fois, les inspecteurs généraux de la santé de toutes les provinces ont été formés, ainsi que la police des frontières. C’est un véritable tournant dans notre dispositif.
Qu’en est-il de la politique nationale en matière de prévention ?
Nous avons récemment mis en place un cabinet spécialisé dans la prévention et la prise en charge des personnes dépendantes au tabac. Car arrêter de fumer n’est pas un acte spontané. Il nécessite un accompagnement psychologique et médical. Ce cabinet représente une avancée majeure et nous souhaitons étendre ce modèle à toutes les provinces.
Le nombre croissant de demandes de soins montre que l’information fonctionne : plus les gens sont sensibilisés, plus ils prennent conscience des dangers du tabac et cherchent de l’aide.
La lutte s’étend-elle également à d’autres substances, comme le cannabis ?
Oui. Le cannabis, communément appelé diamba chez nous, est une drogue illicite. Nous savons que son principe actif, le THC, est particulièrement puissant. Même si certaines vertus thérapeutiques sont reconnues, l’usage récréatif reste interdit et dangereux. Une seule consommation peut provoquer des séquelles neurologiques durables.
Nous avons donc la responsabilité de surveiller, encadrer et prévenir l’abus de cette substance, notamment auprès des jeunes.
Quelles sont les activités prévues à l’occasion de la Journée mondiale sans tabac ?
Le thème de cette année, « Démasqué », vise à révéler les stratégies de manipulation de l’industrie du tabac, qui banalise ses dangers. Nous allons descendre dans la rue pour sensibiliser la population avec des messages clairs.
Des émissions radio et télévisées sont prévues, et surtout, pour la première fois, les messages d’avertissement sont traduits dans toutes les langues nationales. En lingala, nous disons par exemple : « Komela likaya eza problème te, kaka ozosomba liwa nayo » ce qui signifie « Fumer peut paraître anodin, mais tu es en train d’acheter ta mort ».
Une étude que je mène actuellement montre que 76 % des Congolais ne comprennent pas l’expression « Fumer nuit gravement à la santé ». C’est un échec de communication que nous devons corriger. Nous envisageons donc de modifier les avertissements figurant sur les paquets de cigarettes, voire d’y ajouter des images choquantes, comme recommandé par l’OMS.
Quel est votre message aux autorités et à la population congolaise ?
Il est temps de démasquer les tactiques de l’industrie du tabac et de protéger les jeunes. Contrairement aux idées reçues, la cigarette électronique et les produits à base de nicotine ne sont pas sans danger. La nicotine crée une forte dépendance, quel que soit le mode de consommation.
Il faut aussi dénoncer le tabagisme passif, plus dangereux encore pour les non-fumeurs. Il est inacceptable que des enfants soient exposés à la chicha ou à d’autres produits dérivés, parfois même à l’université où des gadgets sont offerts pour encourager leur consommation. C’est une forme de parrainage déguisé.
Le tabac est un facteur de risque majeur pour les maladies non transmissibles comme le cancer ou les maladies cardiovasculaires, dont le traitement est très coûteux. En tant que pays à ressources limitées, nous ne pouvons pas tolérer un produit qui ne nourrit pas mais tue. La santé n’a pas de prix.
Mediacongo, Via la Voix de l'Humanité
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